Posface à Figures de proie, août 2008
Jean Bazin et Jean-Marc Debenedetti appartiennent à cette génération qui avait seize ans en 1968 à Paris et qui avec l’enthousiasme et l’énergie que leur avait procuré leur participation au mouvement de Mai, plaçaient leurs raisons de vivre dans la poésie et la liberté. Sans se connaître alors, ils se situaient déjà loin des salonnards équivoques qui font métier de littérature, respiraient tous deux l’incandescence du sable que l’on sentait couler entre les pavés, et éprouvaient le désir ardent de connaître leurs aînés surréalistes dans lesquels ils se reconnaissaient.
En janvier 1970, Jean Bazin fait la rencontre déterminante de Jean Schuster à qui il vient d’adresser, avec son ami et condisciple
Jean-Michel Le Gallo, un premier recueil Les Lumières délavées ou
l’enfance contraire, fruit d’une expérience poétique à deux voix.
L’accueil chaleureux que l’ami d’André Breton leur réserva au-delà de toute attente, l’attention bienveillante qu’il porta à leurs échanges autour de l’évocation de poètes tels que Maurice Blanchard, Jean-Pierre Duprey, Magloire-Saint-Aude et Stanislas Rodanski ; de peintres comme Paalen, Hantaï ou Tovar, les conduisent à participer à la revue Coupure qui rassemblait quelques belles voix contestatairesissues du mouveme nt surréaliste. C’est ainsi que Jean Bazin est amené à côtoyer José Pierre, Gérard Legrand, Philippe Audoin, Jean-Claude Silbermann, Claude Courtot, Giovanna et Jean-Michel Goutier. Avec ces deux derniers et son complice en écriture Le Gallo, il fonde quatre ans après la fin de Coupure le collectif d’édition Le Récipiendaire qui « désire revendiquer la suprématie du modèle intérieur » et privilégier la « liberté de parole » au-delà des normes de la raison et des jeux de société culturels. Y seront notamment publiés José Pierre, Jean Schuster, Jean Claude Biraben, etc. Cette expérience éditoriale se conclut en 1979 par la publication aux éditions Plasma de l’ouvrage collectif Discours, qui se veut une affirmation de la voie/voix individuelle affranchie de toute allégeance à un pouvoir quelconque.
Claude Courtot, José Pierre, Christian D’Orgeix, Gilles Ghez, Ivan
Tovar, Serge Clos, entre autres, y figurent en bonne place aux côtés
des fondateurs du Récipiendaire.
Parallèlement, dans les mêmes temps, si l’on veut prouver que « les
vases communiquent toujours », Jean-Marc Debenedetti, poète, pein treet sculpteur, par l’intermédiaire de la revue universitaire Soror, rentre en contact avec Rikki et Guy Ducornet, membres du mouvement surréaliste américain qui le présentent en 1973 aux animateurs de Phases. Il participe pendant plus de quinze ans aux activités de ce mouvement, en contribuant à de nombreuses expositions en France et à l’étranger. Par ailleurs il crée en 1978 la revue Ellébore dans laquelle on retrouve les collaborateurs habituels de Phases et ceux qui ont participé à Coupure. Ellébore revendiquant « ce qui du mythe est à l’oeuvre dans le champ poétique », il n’est pas étonnant que Jean-Marc Debenedetti ait convié Jean Bazin et Jean-Michel Le Gallo à rejoindre la revue.
C’est à partir de cette époque que s’instaure entre Jean Bazin et Jean-Marc Debenedetti une amitié qui dure encore, construite sur des engagements et des goûts communs, tant dans l’admiration et la fréquentation de certains créateurs comme Christian D’Orgeix, Saül Kaminer, Gilles Ghez, Mario Murùa, Guy Roussille et Philippe Collage que par l’élaboration, en 1986, de la revue Equivox qui se voulait le renouveau d’Ellébore et qui n’en fut que le testament. Testament d’un mouvement, mais aussi d’une effervescence créative difficile à imaginer de nos jours. En effet, au début des années 90 est apparue une nouvelle ère où les intérêts personnels, individualistes semblent l’emporter sur la création collective, sans laquelle, pour Jean Bazin comme pour Jean-Marc Debenedetti, il ne saurait y avoir d’activité authentiquement poétique. Face à la déshérence de ces années, tandis que Jean-Marc Debenedetti poursuivait ses publications contre vents et marées, Jean Bazin se réfugiait dans un long silence aujourd’hui rompu. Il s’agissait sans doute de deux symptômes d’un même mal. Après des déceptions, des ruptures, des renoncements, reste l’amitié complice entre peu d’individus ; cette fidélité continue d’unir l’auteur de ce livre, son illustrateur et son préfacier, et ceux-là, on peut le penser, n’ont pas dit leur dernier mot.
Jean Bazin et Jean-Marc Debenedetti aux éditions du Grand Tamanoir :